Gabon:Les maux que ces mots ne nous disent pas

Publié le par la concorde

Jeudi 2 juillet 2009 


Quelle "chance" d'avoir un président qui reste 20,30 ou 40 ans au pouvoir ? Que cache la rhétorique utilisée à l'occasion du décès du président Bongo ?

Par Jean-Jacques Dikongué.

Le décès du président gabonais a permis, pour l’Afrique francophone du moins, de mesurer la chance qu’avait le continent d’avoir des hommes d’état capables de rester 20, 30 voire 40 ans au pouvoir. Une marque, un symbole de sagesse, une preuve d’un aplomb certain en matière politique. Ainsi apprend-t-on de certains homologues africains et occidentaux du défunt président et même des médias hexagonaux pourtant …Vaste programme !

"pour les occidentaux, l’identité paix sociale ou stabilité = pauvreté, n’est décidemment vérifiable que pour le continent noir " 
JJ Dikongue


Au-delà de l’affliction, que le propos vienne des chefs d’état africain, n’est en aucun cas une surprise pour au moins deux raisons. Pour illustrer l’une des raisons, il semble judicieux de citer Amadou Hampaté Bâ qui disait : “ En Afrique lorsqu’un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle“. Oui ! Une certaine sagesse vient de s’en aller avec la disparition de monsieur Omar Bongo. En ce sens, il est fort heureux de constater que malgré le séisme d’acculturation et d’aliénation imposées et subies qui frappe l’Afrique, elle réussit à garder une de ses valeurs : le respect de ses ainés, de ses anciens, de ses vieillards.


Malgré la circonlocution que l’on est tenté de relever dans les propos, elle cache mal, la seconde raison. Les considérations plutôt d’ambitions personnelles dont politiques sous-tendent la rhétorique de certains présidents africains à l’endroit du président gabonais et traduirait leur aspiration à battre le record de longévité à la tête d’un état, record que détient de fait le défunt président Omar Bongo. Les multiples révisions, mieux, les découpages sur mesure des constitutions observées ci et là dans les pays d’Afrique francophone expriment et dévoilent au grand jour ce vœu secret des chefs d’états africains en poste et qui se livrent à cet exercice en vogue.


C’est à croire finalement que la chanson populaire qui nous apprend que “ la misère serait moins pénible au soleil “ n’est finalement pas une vue de l’esprit, mais bien une réalité que les africains devraient à jamais intégrer. Car pour les occidentaux, l’identité paix sociale ou stabilité = pauvreté, n’est décidemment vérifiable que pour le continent noir. En dicton ceci se traduirait par : “ Soyez dans la paix, mais dans la pauvreté“. Ce qui ressemble étrangement aux discours tenus par les premiers missionnaires européens en Afrique, qui enseignaient à leurs ouailles de ne pas s’intéresser aux biens matériels car destructeurs pour leurs âmes. Lesquels biens prenaient et continuent de prendre la direction du Nord, comme si les âmes européennes n’ont vraiment pas besoin d’être préservées des méfaits des biens matériels. Fermons cette parenthèse…

 


C’est ainsi que d’une part, les longévités des présidents africains à la tête de leurs états seraient à mettre dans le compte de leur dextérité, de leur maîtrise de l’art de gouverner et de diriger leur pays respectif. Pourquoi pas ? Les populations de ces pays n’y verraient aucun inconvénient si cette longévité était également traduite pour elles par un éloignement de la paupérisation, en plus des 3 maux que le travail est censé éloigner parmi la panoplie des maux qui les menacent.

"Plus la soumission aux besoins en tous genres de l’Elysée est grande, plus la côté de popularité des dirigeants africains est au beau fixe. Le vocabulaire est à ce moment, des plus complimentant pour ne pas dire flagornant et vice versa "
JJ Dikongue


Depuis l’annonce de la mort du président Bongo, ou comme dans le Cameroun voisin, les mots susurrés ou claironnés par les médias et hommes politiques hexagonaux “stabilité, paix sociale, maitrise etc.“ caressent les lobes des oreilles africaines et invitent à l’acceptation d’une fatalité qui n’en est pas une : que la paix, la stabilité du continent noir ou de l’Afrique francophone pour être plus précis, dépend de sa grande capacité à tolérer la pauvreté qui leur est imposée.

L’ancienne juge Eva Joly décrit bien cette situation lorsqu’elle affirme, dans le concert d’hommage à l’annonce du décès du président gabonais que : « s’il avait bien servi les intérêts de la France » notamment par « la manne pétrolière », Omar Bongo n'avait pas « le souci de ses citoyens ». Le Gabon, a-t-elle dénoncé, « c'est un PIB égal au Portugal» qui « construit cinq kilomètres de routes par an» et qui a « le taux de mortalité infantile parmi les plus élevés au monde ». Ce constat n’est pas à mettre au seul crédit du Gabon, c’est celui valable dans toute l’Afrique francophone et dans une paix sociale sans commune mesure.


Tant que l’identité stabilité sociale, paix = pauvreté est maintenue, on s’éloigne de la théorie du chaos que l’on agite en cas de soulèvement du peuple. Voilà ce qui guette les populations africaines qui ne voudraient plus s’accoutumer de la pauvreté créée de toutes pièces et maintenue par des longévités au pouvoir de leurs hommes d’état. Ce chaos que l’on retrouve en Haïti est le même que l’on retrouve ou retrouvera dans les pays africains francophones dans leurs velléités d’affranchissement. Bousculer les habitudes établies dans les pays du pré-carré français comme des havres de paix, est faire acte d’insoumission et subir l’épée de Damoclès jusque là suspendue au-dessus des populations de ces pays.

D’autre part, cette rhétorique nouvelle qui entoure le Gabon ou le Cameroun pour ne citer que ces deux là, laisse dubitatif quiconque a pris le temps d’observer l’indécente arrogance des médias et hommes politiques français à l’endroit des dirigeants africains en général et francophones en particulier sans lesquels, la France finalement n’est rien comme le rappelait avec justesse le président Bongo : “ La France sans le Gabon (l’Afrique) est comme une voiture sans carburant“.*

La versatilité de l’opinion médiatico-politique hexagonale vis-à-vis de l’Afrique francophone fait la démonstration du rapport de soumission qui est à la base de cette relation. Plus la soumission aux besoins en tous genres de l’Elysée est grande, plus la côté de popularité des dirigeants africains est au beau fixe. Le vocabulaire est à ce moment, des plus complimentant pour ne pas dire flagornant et vice versa. Comment comprendre que la longévité au pouvoir soit un jour un acte de paix et de stabilité et un autre jour une dictature ?

“ Les peuples démocratiques haïssent souvent les dépositaires du pouvoir central; mais ils aiment toujours ce pouvoir lui-même “ affirmait Alexis de Tocqueville. Cette maxime éclaire peut-être un peu plus sur l’hagiographie ambiante qui menace l’irrépressible arrogance médiatico-politique hexagonale et trahit de fait une flagornerie dont on connaît l’objectif final.


Jean-Jacques Dikongué.

Publié dans analyse

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